بسم الله الرحمن الرحيم
À la base, le cœur de l’homme, c’est Ruh au sens métonymique — et c’est là ce qu’on appelle l’état de Fitra adamique ; à cet état initial, le cœur est donc un bloc homogène qui se compose des trois éléments du Ruh au sens métonymique — savoir :
- Ruh en soi, à proprement parler — à savoir L’Esprit Divin Le Plus Pur (Le Secret de l’esprit) ;
- L’esprit personnel doté des seuls attributs de l’identité élémentaire que sont le nom générique et l’image de synthèse (l’esprit) ;
- L’esprit muhammadien qui les relie (l’esprit de l’esprit), qui englobe lui-même les esprits du prophète de tutelle et du Walî de référence.
[Dans le Tasawwuf, l’esprit est le Dhikr (du Nom d’ALLAH ﷻ), l’esprit de l’esprit est la sincérité, et le secret de l’esprit est… secret !]
À ce stade, l’esprit personnel, entièrement tourné vers ALLAH ﷻ, est éteint en LUI, irrigué de Sa Seule Lumière par ce cordon ombilical qu’est l’esprit muhammadien : comme le fœtus dans le ventre de sa mère, qui ne s’alimente que d’elle, il ne vit que de et par Cette Lumière, inconscient de lui-même.
On peut donc comprendre « cœur » — s’agissant du cœur originel de l’homme — comme l’esprit personnel relié à L’Esprit Divin par l’esprit muhammadien, ou comme le Ruh mais au sens métonymique (pas au sens d’Esprit Divin Le Plus Pur).
Mais ce cœur n’a pas vocation à rester tel, dans cet état de pureté originelle, rempli du seul Ruh : car l’esprit personnel, jusque-là entièrement tourné vers ALLAH ﷻ, est destiné à recevoir (via le flux descendant de l’esprit muhammadien) le film (ou jeu) de la vie matérielle, qui consiste en un ensemble de sensations par quoi va se lever l’illusion du corps ; en d’autres termes, il est destiné à « recevoir le corps » — comprendre : la matière, le monde matériel, le Dunya (on se place ici du point de vue du monde spirituel, mais il va de soi que si on se place du point de vue du monde matériel, c’est le corps qui précède l’esprit — du moins semble-t-il le précéder — et qui reçoit l’esprit.)
L’esprit personnel, qui jusque-là ne connaissait qu’ALLAH ﷻ vers Lequel il était exclusivement tourné, va donc se trouver d’un coup envahi des choses du monde matériel, qui vont générer de nécessaires besoins et attraits (d’abord primaires — comme la faim, la soif, le sommeil, la reproduction… — puis secondaires, en ce sens que le plaisir pris à leur satisfaction va finir par être cultivé comme une fin en soi) ; l’esprit personnel, qui ne connaît donc qu’ALLAH ﷻ et Sa Lumière, va puiser de Cet Esprit Divin Dont il est dépositaire (on rappelle que chaque esprit personnel correspond à Un Fragment Exclusif de L’Esprit Divin Qui lui est dédié), s’En servant comme Ressource pour satisfaire tous ces besoins matériels (car la satisfaction de ces besoins implique nécessairement de déployer des ressources : boire, manger, se déplacer, procréer, faire ses besoins naturels…, ne peuvent se faire sans Le Secours d’ALLAH ﷻ — et donc sans recourir à L’Esprit Divin) ; et chaque fragment de Cet Esprit Divin utilisé aux fins matérielles, ainsi souillé, va s’En détacher, chuter, et se déposer au fond du cœur, formant ainsi Nafs (car L’Esprit Divin — d’ALLAH ﷻ pour ALLAH ﷻ — ne peut servir les besoins de la matière, S’y rabaisser, sans Se dégrader et chuter) : c’est ainsi que se forme Nafs, qui constitue désormais la partie déchue de Ruh consacrée à la matière, et qui agit comme force d’attraction, car elle est la mémoire de la satisfaction des besoins du corps et incite à la reproduire sans fin.
Le cœur est donc désormais composé de Ruh au sens métonymique, ET de Nafs : il ne se limite plus au premier (au Ruh Originel), et l’esprit personnel, qui jusque-là était éteint dans L’Esprit Divin (il n’avait que Lui vers Qui se tourner), se trouve désormais intercalé entre Ce Dernier et Nafs, parfaitement réveillé dans sa conscience et son exercice du libre arbitre, oscillant entre ces deux pôles invariables au gré de leur force d’attraction respective ; ainsi se trouve-t-il, tout à la fois :
- attiré par L’Esprit Divin (Auquel il demeure lié par l’esprit muhammadien),
- accaparé par le film du Dunya (qui le détourne de L’Esprit Divin en générant toutes sortes de distractions qui vont de la tentation au souci),
- sollicité par Nafs (qui l’incite à reproduire constamment l’assouvissement des besoins matériels),
- et harcelé par Shaytan (qui, s’appuyant sur Nafs, le pousse à la transgression en essayant de lui faire dépasser les limites autorisées de l’assouvissement des besoins matériels).
Pour schématiser, on dira donc que le cœur, jadis homogène et unifié, s’est scindé, s’est fracturé, s’est partagé en deux pôles d’attraction, avec l’esprit personnel au milieu, tiraillé entre les deux : ALLAH ﷻ en haut, et la matière en bas (matière que l’esprit personnel ne pourra pas ignorer, du moins pas tout de suite car il devra pour ça en passer par un long cheminement le menant à la ré-extinction des sens, et en tout cas ne pourra-t-il jamais l’occulter totalement tant qu’il sera soumis au film de la vie matérielle).
Le Pôle Divin, c’est bien évidemment ce qu’il « reste », en termes de capital attribué, du Ruh Originel, vu que l’esprit personnel a puisé de L’Esprit Divin pour satisfaire les besoins de la matière auxquels il s’est trouvé confronté (en vérité, dans l’absolu, Ruh est Inaltérable, et ce qui est pris de L’Esprit Divin, ce qui s’En détache pour former Nafs ne lui manque en rien et se voit aussitôt remplacé, car Sa Lumière, Inépuisable, S’autogénère ; et même la partie souillée finit par réintégrer, après purification, L’Esprit Divin, Duquel elle n’était que provisoirement détachée pour les besoins de la vie matérielle) ; le pôle matériel — qui est donc une partie altérée du Premier, qui s’est dégradée en satisfaisant les besoins du monde matériel —, c’est Nafs ; et plus le monde matériel va prendre de l’importance dans le cœur, plus Nafs va grandir « au détriment » de Ruh (en vérité au détriment de l’attachement de l’esprit personnel à Ruh, vu que Ruh n’a pas besoin de l’esprit personnel, mais que c’est l’esprit personnel qui a besoin de Ruh).
Et l’esprit personnel, qui jusque-là était en sommeil dans Ruh et s’est donc réveillé du fait de ce tiraillement entre ces deux pôles, va commencer son mouvement d’oscillation de l’un à l’autre de ces deux pôles — et c’est finalement son lot, ce à quoi il est destiné (il n’a de raison d’être que par ce tiraillement entre ces deux forces, et par l’effort à produire pour revenir à L’Attraction Divine tout en résistant à l’attraction de la matière, car s’il n’y avait pas eu de création, s’il n’y avait eu qu’ALLAH ﷻ dans La Solitude de Son Unicité, il n’aurait eu aucune raison d’être vu qu’ALLAH ﷻ Se suffit).
À titre d’illustration, considérons cette parabole : un homme est seul avec sa vieille mère dans une chambre d’hôpital, occupé à la veiller ; tout son esprit est orienté vers elle, plein d’amour filial et de miséricorde — unifié ; et on peut dire qu’à ce stade il s’ignore lui-même, vu que tout son être est légitimement mobilisé vers sa mère, qui, par l’amour filial qu’elle suscite dans son cœur, est son seul désir et sa seule intention (son esprit est donc éteint en elle) ; soudain entre dans la pièce une magnifique infirmière, et l’homme ne peut pas l’ignorer (il est génétiquement programmé pour ne pas l’ignorer) ; alors son esprit personnel, jusqu’alors entièrement tourné vers sa mère, va puiser de cette énergie qui lui sert normalement à concentrer toute son attention sur elle (à la servir, à prendre soin d’elle…) et la consacrer à l’infirmière : se forme alors un second pôle d’attraction, sur la base des ressources mentales initialement dédiées à la mère et en partie « captées » par l’infirmière — ou en tout cas détournées par l’esprit personnel pour se consacrer à elle —, lesquelles se trouvent donc scindées en deux blocs opposés ; on a donc un pôle maternel qui, reposant sur l’amour filial, continue de se voir assigner les ressources mentales restantes (celles qui n’ont pas été détournées pour se consacrer à l’infirmière) ; et un pôle sensuel qui, reposant sur le désir sensible, détourne en partie les ressources mentales à cette fin ; et l’esprit personnel se trouve ainsi tiraillé, écartelé entre deux tensions opposées qui entraînent de fait son activation : jusque-là soumis à une force d’attraction unique (la mère), il était quasiment en sommeil, assujetti à cette force qui le neutralisait et le soumettait à sa seule présence ; mais désormais intercalé entre deux forces contraires, en situation d’osciller entre elles, il se réveille avec son libre arbitre et ses attributs personnels (son proprium,) par quoi il va devoir poser et assumer des intentions qui le feront balancer entre les deux, et détermineront son orientation finale (ou plutôt, confirmeront cette orientation déjà déterminée de toute éternité) ; on l’aura bien compris, la vieille mère symbolise ici ALLAH ﷻ (ou L’Esprit Divin Ruh) en Qui l’esprit personnel est évidemment éteint à la base en vertu de l’amour originel qui détermine l’attraction unique ; l’infirmière symbolise quant-à elle l’attachement au monde matériel (ou Nafs, dont la constitution est déterminée par le détournement de L’Esprit Divin afin de satisfaire les attirances sensibles) ; on observera toutefois que, quand l’esprit personnel passe d’ALLAH ﷻ au monde matériel, de Ruh à Nafs, de la mère à la femme, ça ne signifie pas qu’il change fondamentalement d’objet dans l’absolu — vu que le monde matériel vient d’ALLAH ﷻ Qui l’a créé, que Nafs provient de Ruh, et que la femme n’est jamais qu’une projection de la mère pour être une mère en puissance —, mais d’intention : au lieu de continuer à se concentrer sur son objet premier, il se laisse juste distraire par l’ersatz de cet objet, qui l’en détourne, et qui n’est que leurre, illusion ; mais s’il persiste à voir dans le monde matériel La Création d’ALLAH ﷻ, dans Nafs une partie (certes dégradée) de Ruh, et dans la femme une mère sacrée en puissance — s’il souhaite ne voir dans tout cela que La Lumière d’ALLAH ﷻ sans se laisser détourner par les apparences trompeuses, il reste unifié vu qu’il ne voit finalement qu’ALLAH ﷻ ; c’est ainsi que Nafs, finalement, ne saurait être un problème pour qui voit ALLAH ﷻ en toute chose, et ne se laisse pas leurrer par les voiles et artifices du monde créé : car le problème n’est pas tant Nafs (dont on ne se départit jamais vraiment, quel que soit le Maqam qu’on a pu atteindre) que l’ignorance à son sujet, par quoi on la subit plutôt qu’on ne la maîtrise (à défaut de connaître son origine et sa vocation, faute de la science à son sujet qui nous permet de la comprendre et de la tenir, on ne peut que se laisser dominer par elle, comme un maître finit fatalement par perdre le contrôle de son chien mal dressé avec tous les risques que ça implique).