بسم الله الرحمن الرحيم
Les mots sont la porte de l’esprit : entre l’esprit et l’homme il y a le verbe — d’où les livres saints.
Par « esprit », il faut comprendre ici les pôles invariables que sont Ruh ou Nafs — sachant qu’il y a certes la Spiritualité Absolue d’Ordre Divin, mais qu’il y a aussi une spiritualité détournée, corrompue, maléfique, diabolique, orientée vers le mal, qui se traduit notamment, dans sa radicalité, par un satanisme assumé, revendiqué, et cultivé ; et par « homme », il faut comprendre à la fois la variable entre Ruh et Nafs qu’est l’esprit personnel — qui comprend notamment la raison, l’intellect, et où siège le libre arbitre — et à la fois la créature incarnée, matérialisée.
Le langage est donc le média entre l’homme comme créature matérielle dotée d’un esprit personnel variable, et les mondes éthérés ; entre le corps, les sens en général (il y a des langages visuels, auditifs, tactiles…) et le cœur, l’esprit en ce qu’il a d’invariable (Ruh ou Nafs), via la raison, l’intellect, la dimension cognitive (toutes choses superficielles en ce qu’elles servent normalement à appréhender ce qui relève du monde sensible pour interagir avec lui, mais par quoi transitent également, le plus souvent, les mots d’ordre spirituel — c’est-à-dire les mots organisés aux fins de spiritualité : il est bien évident qu’on ne parle pas ici des mots d’une banale conversation d’ordre matériel, dans un contexte domestique ou professionnel, du genre « passe-moi le sel » ou « envoie la clé de 12 ») —, bien qu’ils soient à même de toucher directement le cœur ; mais la plupart des esprits, n’étant pas assez réceptifs, ont besoin de ce filtre de la raison, vu que les cœurs sont souvent voilés — notamment dans leur partie haute).
En fait, si le verbe permet à l’homme d’accéder à l’esprit, c’est que l’esprit est préalablement descendu à l’homme via le verbe par un messager interposé (le mouvement via le verbe fonctionne donc dans les deux sens : de l’homme à l’esprit, et de l’esprit à l’homme) : d’abord, les mots chargés de l’esprit gagnent le cœur d’un messager, qui les diffuse dans le monde matériel (qui les matérialise, donc) en les couchant sur le papier, ou même en les récitant simplement, car même si ça n’est qu’oral, ce mouvement par les sens — de la voix à l’oreille — assure le passage dans la dimension matérielle ; puis, ces mots matérialisés (lisibles, ou tout simplement audibles — car il suffit qu’ils aient été récités une fois pour être mémorisés et stockés dans ce disque dur qu’est le cerveau, qui n’est qu’un espace de stockage physique qui ne permet qu’une compréhension superficielle, à ne pas confondre avec le cœur qui lui permet une compréhension approfondie) finissent par cheminer jusqu’à certains cœurs ; autrement dit, on a ce mouvement d’aller-retour de l’esprit à la matière et de la matière à l’esprit : du cœur d’un messager au monde matériel, et du monde matériel aux cœurs des autres hommes — et on observe que le transit par le monde matériel est nécessaire, incontournable.
Ainsi, le poète qui délivre des vers obscènes se les voit d’abord inspirés par son cœur bas Nafs (probablement incité en cela par le Shaytan qui, ayant infecté son sang, circule dans ses veines), avant de les matérialiser en les couchant sur le papier : par les mots, on est donc passé de l’esprit ténébreux, obscur, au monde matériel ; une fois matérialisés, ces vers malsains (ces Fleurs du Mal) sont lus par le public, et imprègnent de leur poison les cœurs des lecteurs prédisposés au mal, les contaminant de leur perversion : et c’est ainsi qu’on revient — toujours par les mots — de la matière à l’esprit ténébreux.
De la même manière, le Rasūl qui reçoit la révélation se la voit inspirée par son cœur haut Ruh, dictée par un ange qui lui intime de la réciter — ce qui donne, dans le cas de Sayyidina Muhammad ﷺ, les premier mot du Qur’an : « Iqra — lis ! » ; Sayyidina ʿIssa (Jésus) عليه السلام est quant-à lui le Logos — le Verbe incarné — et sa récitation est avant tout gestuelle, son message résidant principalement dans ses actes (ici entendus comme la synthèse de ses paroles et de ses gestes) qui, retranscrits par certains de ses disciples, donnent les évangiles (comme les témoignages des compagnons de Muhammad ﷺ donnent la Sunna) — lesquels, toutefois, contrairement au Qur’an, ne relèvent pas d’une révélation directe ; donc, le messager, à l’instar de Sayyidina Muhammad ﷺ, récite, mais son travail ne s’arrête pas là vu qu’ensuite il enseigne le sens des versets — avec toutefois une étape fondamentale, qui, s’intercalant entre récitation et enseignement, est celle de la purification des cœurs (ainsi le Qur’an — en 62:2 — dit : « C’est LUI Qui a envoyé à des gens sans livre un messager des leurs qui leur récite Ses Versets [première étape], ET LES PURIFIE [deuxième étape], et leur enseigne le livre et la sagesse [troisième étape], bien qu’ils étaient auparavant dans un égarement évident…) : car sans cette purification des cœurs (par le Dhikr — l’évocation d’ALLAH ﷻ), l’enseignement ne pourrait se faire en profondeur, au niveau des cœurs (via Al-Basira), et ne serait que superficiel, au niveau de l’intellect (via Al-Basar) ; et l’enseignement de la sagesse ne pourrait découler de l’enseignement du livre, conformément aux termes du verset. (On voit d’ailleurs ce que donne la seule écoute ou lecture du Qur’an sans travail de purification des cœurs : une compréhension faussée, souvent littéraliste, essentiellement attachée à la forme, avec une application restreinte à ce bas niveau de compréhension, et qui donne des courants morbides comme le wahhabo-salafisme.)