بسم الله الرحمن الرحيم
Tu ne dois t’éteindre dans le Shaykh que pour substituer son Ruh (son Esprit Divin) à ta Nafs (ton âme instigatrice) : autrement dit, tu dois éteindre ton âme dans son Esprit pour que son Esprit te dirige.
Mais cette extinction ne doit être que transitoire, le temps pour toi d’être régi par ton propre Ruh.
Ce qui implique que, lorsque tu t’accroches à l’esprit du Shaykh, c’est avec la Niya d’atteindre ton propre Esprit qui te permettra de devenir autonome.
Sinon, quand le Shaykh part et que tu te retrouves privé de son Esprit, non seulement tu te retrouves de nouveau livré à ton âme, mais encore à une âme atrophiée puisque tu l’avais réduite, éteinte au point d’être dépendant de lui, sous emprise : tu te retrouves donc plus handicapé qu’au départ, puisque tu t’es en grande partie débarrassé de cette âme qui te permettait d’avancer un peu (tu t’es dépersonnalisé), sans pour autant avoir fait la transition avec ton Esprit ; tu n’as donc plus aucun moyen d’avancer.
Car le Shaykh ne doit pas être qu’un moyen de substitution de l’âme ; il doit aussi, et surtout, être le moyen de t’apprendre à atteindre ton Esprit et à en faire ton moteur.
Un peu comme si tu étais un oisillon aux ailes pas encore développées, ne disposant que de pattes te permettant d’évoluer sur terre : après avoir découvert que tu avais des ailes (un Esprit) et que ton but c’était de voler (ton but c’est le ciel – ALLAH ﷻ – et pas de rester scotché sur terre avec ces pattes figurant ton âme), tu t’accroches donc de toutes tes forces à ton Shaykh avec ton bec (« Mordez à pleines dents dans ma Sunna ! ») et tu prends ton envol à sa suite, tracté par son élan.
Mais si, une fois en l’air, tu te contentes de te laisser tirer par le Shaykh ; si tu ne l’imites pas, si tu ne t’imprègnes pas de sa façon de faire, de ses gestes ; si tu ne regardes pas comment il se sert de ses ailes pour faire battre les tiennes et les muscler, les développer ; autrement dit, si tu ne développes pas ton Esprit, pendant que le sien te porte, en libérant cette science de voler que tu portes intrinsèquement en toi – car avec les ailes tu as nécessairement, en puissance, la faculté de voler ; il va arriver un moment où le Shaykh va disparaître physiquement – et tu te retrouveras sur terre, sans plus personne pour te porter dans les airs, et sans la capacité de voler par tes propres moyens (d’évoluer dans Le Ciel Divin) parce que tu n’auras pas développé tes ailes (ton Esprit Divin), et la science du vol (l’esprit muhammadien) ; et en plus, tu auras perdu la faculté de marcher (d’évoluer dans le monde matériel), parce que tu auras atrophié tes pattes (ton âme que tu auras réduite – quasiment éteinte) en te laissant porter par le Shaykh.
S’accrocher au Shaykh comme une fin en soi, et donc s’en remettre totalement à lui en s’éteignant complètement (en perdant ce substitut de facultés qu’est l’âme et qui permet au moins d’évoluer sur terre, même de façon aléatoire), est donc extrêmement dangereux, si ça n’est pas fait avec l’intention de transcender la personne du Shaykh : en apprenant de lui à découvrir et exploiter ses propres capacités de Shaykh – c’est-à-dire en découvrant, par imitation, son propre esprit muhammadien, qui seul permet d’accéder à son Ruh.
Le lien spirituel qu’est la Rabita est ce qui permet déjà, du vivant de Shaykh, de se passer de son corps (à terme), en accédant directement à son esprit muhammadien – mais non sans avoir eu préalablement besoin de son corps, qui a joué le rôle de pont, de rampe de lancement : c’est ainsi qu’une fois lié à l’esprit du Shaykh par l’expérience sensible avec son corps et l’amour ainsi suscité, l’esprit personnel du disciple se trouve propulsé en orbite dans le monde spirituel, où il accède pleinement à la dimension muhammadienne du Shaykh qui lui révèle la sienne propre ; en d’autres termes, la Rabita permet au disciple d’accéder directement à l’esprit muhammadien du Shaykh (une fois le pont du corps de Shaykh définitivement franchi, il n’est plus nécessaire d’y repasser), et donc d’accéder à son propre esprit muhammadien ; sans quoi le disciple ne dispose que du corps de Shaykh, comme modèle apparent (comme symbole matériel, manifeste, de l’esprit muhammadien), pour trouver en lui son propre esprit muhammadien – ce qui est largement insuffisant : car si le voyageur reste sur le pont, s’attache à lui, et se contente de la perspective qu’il offre de l’autre rive, non seulement il n’a aucune chance de passer un jour de l’autre côté, mais encore il finira par tomber avec le pont le jour où celui-ci s’effondrera – inéluctablement ; car la vocation d’un pont – éphémère comme toute création matérielle – est de faire passer, pas de retenir : le pont n’est pas une station où se fixer.
L’esprit muhammadien (ou lumière muhammadienne), en soi, est quelque-chose d’éthéré, qu’on ne peut constater, chez quelqu’un, que par la manifestation en actes concrets des attributs muhammadiens – c’est-à-dire par l’excellence du comportement (Al-Ihsan) au quotidien –, et par un rayonnement particulier du corps, une aura spécifique qui n’est autre que l’aura de la sainteté ; mais cette double dimension manifeste ne permet pas d’accéder à son propre esprit muhammadien : il faut pour cela avoir franchi ce pont qu’est le corps de l’héritier muhammadien, et avoir atteint son esprit muhammadien – car seul l’esprit permet de nourrir l’esprit.
Et une fois connecté à l’esprit muhammadien du Shaykh, et ainsi parvenu au sien propre (c’est-à-dire à la maîtrise), on se trouve à La Porte de L’Esprit Divin (Ruh) et de La Connaissance Gnostique (Maʿrifa), par Quoi on se voit réalisé dans sa divinité – Rabbani.