بسم الله الرحمن الرحيم
On a tendance à mettre l’empathie sur le même plan que la miséricorde car, dans l’esprit collectif, du fait qu’elles tendent toutes deux vers l’autre (du moins en apparence comme on va le voir), elles relèvent du même registre.
Pourtant la miséricorde est bien supérieure à l’empathie, en ce sens que l’empathie consiste à se mettre à la place de l’autre, à se projeter : on s’imagine à la place de la victime, et on s’apitoie non pas sur elle, mais sur soi, sur son propre sort, en s’imaginant combien on souffrirait si on avait à subir la même épreuve.
L’empathie est donc égocentrée : on projette son ego sur la souffrance de l’autre (ou la souffrance de l’autre sur son ego), et c’est sur ce dernier – l’ego dans toute sa splendeur – qu’on focalise plutôt que sur l’autre.
La miséricorde, elle, est gratuite : elle est pure pitié, pure compassion ; l’ego n’intervient pas, n’est pas partie prenante car il s’éteint dans la souffrance de l’autre – ou plutôt, la souffrance de l’autre l’éteint : au lieu que l’ego se substitue à l’autre et lui prenne sa place de victime, l’annihilant quasiment dans sa personne, c’est l’autre qui vient se substituer à l’ego et prendre sa place dans le cœur (car – on le rappelle – l’ego ou Nafs a son siège dans le cœur, plus précisément dans sa partie inférieure).
Ainsi la victime et sa souffrance nous envahissent et nous habitent ; alors que dans le cas de l’empathie, on se saisit virtuellement de la souffrance de la victime, on l’en dépouille, on s’en empare à son profit personnel en l’effaçant de fait – un peu comme si on se saisissait du vêtement d’un tiers, le laissant nu pour voir comment son habit nous va, quel effet il produit sur nous.
Alors en apparence on a l’air sincèrement chagriné pour l’autre, mais en vérité c’est pour soi-même qu’on est marri : on donne l’impression de plaindre la victime, mais on ne fait que se lamenter et s’attendrir sur son sort imaginaire.
C’est ainsi que l’empathie, fort louable en apparence, repose en réalité sur un mécanisme fondamentalement égotique – et c’est très subtil, car elle présente tous les signes apparents de l’altruisme le plus généreux ; alors que la miséricorde peut au contraire se présenter sous des signes de dureté apparente, car elle vise en réalité le bien absolu de l’autre, son salut – et son salut se trouve parfois aux antipodes de son plaisir immédiat.
Les pères et mères en savent quelque chose, qui savent sanctionner ou interdire dans l’intérêt supérieur de leurs enfants – et c’est là pure miséricorde ; et surtout ALLAH ﷻ, Dont on ne comprend que très rarement le sens des Décrets, Qu’on interprète trop souvent comme des châtiments ou des injustices alors qu’Ils ont, dans l’au-delà, s’agissant de notre salut, une portée décisive qui nous échappe.
Qui nous échappe, parce que nous n’avons ni la foi dans Sa Miséricorde, ni la confiance dans Son Jugement ; parce que nous ne voyons que nous-mêmes et notre intérêt immédiat (ou ce que nous croyons l’être) – tout comme nous ne voyons dans la souffrance de l’autre, par ce mécanisme psychologique de l’empathie, que notre propre souffrance imaginaire.