بسم الله الرحمن الرحيم
Le Shaykh est comme un jardin public où chacun peut venir se promener et ressourcer à sa guise, à son rythme, à la fréquence qu’il lui sied.
Mais ce qui fait que ce jardin devient intime pour quelqu’un, c’est l’expérience propre qu’il s’y fait – sensorielle et spirituelle.
Et le bouquet qu’il s’y compose.
Ainsi, de ce jardin, personne n’empruntera tout-à-fait les mêmes passages, ne fera le même parcours, ne s’enivrera des mêmes parfums, n’entendra les mêmes oiseaux chanter…
Personne n’en ramènera les mêmes souvenirs, les mêmes émotions.
Pour certains, à chaque visite, ce ne seront que trois minutes passées dans un jardin public ; pour d’autres, un séjour au paradis dont il ne sauraient dire le temps qu’il y ont passé.
Ainsi est-il fondamental de ne pas s’arrêter au Shaykh physique, matériel, public, que tout le monde voit, mais de se forger du Shaykh sa propre expérience, son propre souvenir – faits à la fois de sensations et d’émotions.
Car sur cet homme, commun à tous dans son immédiate apparence, on va projeter une certaine vue du cœur qui va le revêtir, selon la vision de chacun, de la cape du Saint ou de la tenue civile de monsieur Tout-le-monde.
Ce qui compte, chez le Shaykh, c’est ce qu’on en fait avec son cœur, et le reflet de soi même qu’on projette dessus ; car, à terme, le Shaykh doit nous révéler à nous-mêmes ; et ce qu’on voit de lui, c’est soi-même – c’est le reflet de son cœur et de son état.
D’où la nécessité préalable d’avoir le Yaqîn quant-à la véridicité du Shaykh, car cette certitude va orienter la vision intérieure et commencer à révéler La Vérité qui sommeille en soi : là est le premier choix et la première intention, car si on part du principe que cet homme n’est pas Véridique, on se forge d’entrée l’intention de ne rien voir de bon en lui, et donc de n’y projeter que du négatif.
Car croire en le Shaykh, c’est croire en Soi ; et quand on dit « Soi », on parle bien de Ce Qu’on est réellement – de Sa Nature Divine – et pas de cette identité humaine artificielle.
Aussi, même si le Shaykh est un imposteur, le fait de croire en lui nous permettra de projeter sur lui notre propre Lumière Divine – notre propre divinité.
Et c’est comme pour le jardin public : si on se convainc qu’il ne s’agit que d’un hectare d’herbe au milieu de la cité, avec quelques arbres en vrac où il n’y a rien d’autre à faire que de perdre son temps, on laissera bloquée en soi, la refoulant, la voilant, cette perception fine qui nous permettrait de discerner toute la beauté, voire la magie du lieu ; mais si on arrive avec la certitude qu’il s’agit, comme une parenthèse dans le monde matériel, d’un pur coin de paradis, on en verra les secrets que personne d’autre ne verra : parce que notre certitude a fait sauter les verrous de notre cœur, en libérant notre connaissance occulte de ce lieu ; et, enrichissant notre vision primaire (Basar), en projetant dessus les secrets qui président à sa vraie nature.
C’est ainsi que la certitude quant-à la véridicité des choses, quant-à La Volonté Divine qui préside à leur création, permet de lever les voiles du doute (ou des mauvaises certitudes), et de libérer la connaissance universelle qui sommeille au fond de chacun d’entre nous ; et c’est ainsi qu’on perçoit l’univers dans sa Haqiqa Muhammadiya – c’est-à-dire que nos regards, purifiés du filtre de l’ego, ne voient des choses créées que la lumière muhammadienne qui les fonde.
C’est bien évidemment le même principe pour le Shaykh : la certitude qu’on a de sa véridicité – fût-il un imposteur – débride le regard du cœur (Basira) et permet de ne plus voir de lui que sa Haqiqa Muhammadiya ; car quand on voit la lumière muhammadienne, on la voit dans toute chose, vu qu’elle fonde toute chose créée.
Ainsi, ce ne sont pas les choses qui sont véridiques ou qui ne le sont pas ; c’est le regard qu’on porte dessus qui l’est.
Quant-au Shaykh, si on décide de prendre pour Shaykh un ivrogne dans la rue, et qu’on a la certitude quant-à sa nature divine, notre œil du cœur finira effectivement par le voir dans sa réalité muhammadienne.
Dans l’absolu, ça peut aussi marcher avec une limace ; mais comme ALLAH ﷻ sait que nous sommes faibles et que nous voyons la plupart des créatures (hommes compris) avec dédain – donc que nous doutons de leur réalité muhammadienne, ou plutôt qu’elle est voilée par nos ego – il a pris certains hommes et, les honorant ainsi, a posé sur eux le tampon de la Wilaya.
Pour nous faciliter, pour orienter nos regards et nos cœurs.
Mais même avec ce tampon, certains arrivent encore à douter de la véridicité du Walî, et ne persistent à voir en lui qu’un vulgaire humain parmi les autres.
Quoiqu’il en soit, il est fondamental, dans le cheminement, de se forger sa propre vision de son Shaykh, faite du souvenir des moments passés en sa compagnie et des émotions vécues avec lui ; et on finira par se rendre compte que ce Shaykh intime, par ce qu’il a d’infiniment personnel, n’a plus grand chose à voir avec cette figure publique, neutre, qu’est le Shaykh matériel : c’est tout simplement notre Vraie Nature Qui Se libère et, Se projetant sur ce Shaykh matériel, l’habille de la lumière muhammadienne par quoi nous voyons désormais toute chose ; ou plutôt, par ce regard purifié de tout voile, par cette Basira, le Shaykh se révèle à nous dans sa Haqiqa Muhammadiya.